Tuesday, September 26, 2006

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Il faut beau et déjà chaud en ce samedi 8 mai vers 9 heures du matin. Monsieur Carle, pêcheur professionnel tire ses filets dans le bras mort du Rhône, côté Villeneuve, au pied d'une forte élévation rocheuse appelée le Rocher de la Justice, car au Moyen-Age, on y avait dressé le gibet royal, les sinistres fourches patibulaires. Installé là depuis 6 heures du matin, monsieur Carle a tendance à sommeiller un peu quand soudain, son attention est attirée par une sorte de ballot qui flotte à la surface de l'eau sans dériver, car à cet endroit il n'y a pas de courant. Il s'en approche. L'odeur qui s'en dégage est pestilentielle. Monsieur Carle a l'habitude de ce type de rencontre : beaucoup de riverains du fleuve y jettent des charognes. Une de plus. Et pourtant, à mieux y regarder, ce sont bien deux jambes humaines ou ce qu'il en reste, qui sortent par l'une des extrémités crevée d'un sac. Cette fois c'est sérieux. Il regagne vite la berge, enfourche sa bicyclette et va prévenir les gendarmes de Villeneuve, qui sont tout proches.
Aussitôt sur les lieux, ceux-ci font tirer le ballot sur le bord et doivent se rendre à l'évidence : c'est bien un corps humain que le Rhône a laissé remonter de ses profondeurs, et de fait, c'est à cet endroit qu'il est réputé être le plus profond, entre 15 et 20 mètres. Le cadavre est dans un état de putréfaction avancée, horrible à voir et d'une puanteur insoutenable. On ne le montrera pas à la famille qui, de toute façon, ne le reconnaîtrait pas. Grace aux vêtements, on voit très vite qu'il s'agit du cadavre d'une femme et un nom s'impose aussitôt à l'esprit des gendarmes : Suzanne Furimond, dont la disparition il y a deux mois à Avignon, a fait grand bruit dans la région.
On avise immédiatement le service de police d'Avignon, chargé de l'enquête, qui arrive sans tarder sur les lieux et fait harponner le ballot pour qu'il soit tiré jusque sur la plage de l'île Piot, située en face. Les enquêteurs constatent que le corps a été enfermé dans deux sac de jute épaisse, enfilés l'un par la tête, l'autre par les pieds, lestés de galets du Rhône et entouré très serré de fil de fer galvanisé qui ne forme pas moins de douze torsades. C'est du travail de professionnels : empaqueté de la sorte, il y avait peu de chance pour que le corps remonte à la surface. Mais le sac entourant les pieds et les jambes a crevé et perdu son lest. Si bien que le Rhône a fini par restituer sa proie. Le foulard rouge et blanc, les socquettes blanches, la paire de souliers en cuir jaune, à semelles de crêpes, les deux boucles d'oreilles en or avec brillants, les restes des vêtements, robe, manteau, et une alliance en or où est gravées l'inscription " LR à SF. 9 septembre 1923 " appartiennent bien à la disparue. Et sa famille , comme son ex-époux, le confirmeront.


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