Tuesday, September 26, 2006

19

Mais il en est d'autres qui semblent avoir gardé une bonne mémoire et pour qui, la vengeance est un plat qui se mange bien froid. Quatre ans après les faits, début mars 1952, une lettre anonyme arrive sur le bureau du commissaire Heinis, toujours à peu près persuadé de la culpabilité du camionneur Carto. Cette lettre met en cause, de façon très circonstanciée et précise, un certain Pierre Sabloye, 33 ans, se disant agent immobilier, mais dont la profession reste mal définie. En fait, c'est un petit voyou du milieu avignonnais, qui vit au jour le jour de divers larcins et de combines médiocres. Mais ses déclarations sont proprement stupéfiantes.
Sabloye reconnaît que, le 11 mars 1948, jour de la disparition de la victime, il a rencontré le nommé Jeannot Antonin (frère de Louis), dans le bar de ce dernier, rue du Limas. Jeannot lui demande de lui prêter sa traction avant Citroën 11 chevaux. Sabloye refuse. Cette voiture n'est pas à lui. Elle lui a été prêtée par un ami, monsieur Verret. Mais il accepte de conduire Antoine là où il veut se rendre, c'est-à-dire chez madame Suzanne Furimond, rue Saint-Lazare. Quand ils y arrivent, il est environ 19 heures 30 (donc le sieur Carto devrait logiquement s'y trouver !). Antonin se rend seul chez la dame et en ressort environ 20 à 30 minutes plus tard (soit vers 20 heures. Carto y serait donc encore !). Il demande une nouvelle fois à Sabloye de lui prêter sa voiture. Nouveau refus. Mais Sabloye accepte de faire le chauffeur, au besoin. Rendez-vous est pris pour le soir, rue Saint-Etienne, à 20 heures 30.
A l'heure dite, Antonin monte dans la voiture, accompagné du nommé Bergea que Sabloye connaît de vue et d'un grand blond de 35 ans environ, qu'il n'a jamais vu et qui porte un chapeau. Ils se rendent dans la cour des entrepôts de Suzanne Furimond, qui jouxtent son domicile. Sabloye, qui précise être entré dans l'impasse en marche arrière, reste au volant. Les trois autres disparaissent dans la cour obscure, rentrent dans l'appartement de la victime et en ressortent environ trois quarts d'heure plus tard, donc vers 21 heures 15, portant un paquet non-ficelé, que Sabloye reconnaît être un corps humain et même plus, un cadavre. Il dit alors à Antonin : " Nous sommes frais. " A quoi l'autre lui répond : " Que veux-tu, c'est un accident. ". Sabloye ne sait pas qu'on n'étrangle pas quelqu'un par accident. Il ne précise pas non plus l'origine des sacs. Un des comparses a-t-il bu ou fumé dans l'appartement ?
Le quatuor repart avec le cadavre installé sur le siège arrière, entre Bergea et le blond, direction le quai de la Ligne, le Pont Suspendu et l'ïle de la Barthelasse, ou plutôt l'ïle Piot et le chemin des Sablas, où Bergea tient une guinguette appartenant à sa maîtresse. Là, Antoine et le blond déchargent le cadavre puis avec Bergea, ils le transportent jusqu'à la guinguette où ils restent environ 25 à 30 minutes. Ils ressortent toujours portant leur lugubre fardeau et se dirigent vers le Rhône distant d'une cinquantaine de mètres. Les trois hommes reviennent à la voiture au bout trois quarts d'heures à peu près. Aux dires de Sabloye, il est alors 22 heures. Cela fait juste si l'on ajoute le temps du trajet.
Le quatuor retourne à Avignon et se disperse place Crillon. Sabloye ramène la voiture au garage Continental où son propriétaire viendra la reprendre le lendemain. Il va ensuite se coucher. Il est alors 22 heures 45. Antonin lui a dit : " A demain. ". Ce lendemain, vers 11 heures 15, Sabloye se rend au bar du Petit Cabaret tenu par Antonin qui lui remet 2 000 francs pour la course de la veille. Sabloye est un gagne-petit : pour une complicté d'assassinat, ce n'est pas cher payé. Sabloye reverra Bergea et Antonin, mais jamais plus le grand blond avec un chapeau.

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