Tuesday, September 26, 2006

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Jeannot Antonin est resté à jamais silencieux. Parti deux ans après les faits en Indochine, soit pour se faire oublier, soit pour se reconvertir dans la lucrative activité du trafic d'opium ou de piastres, il sera abattu à Saïgon dans un règlement de comptes, sans avoir pu être entendu. Or, en tant qu'unique assassin clairement désigné, ses déclarations auraient été d'une importance capitale. D'autant plus que, de source sûre, il fréquentait assidûment le milieu avignonnais des trafiquants d'or, dont les noms ont été cités et où il retrouvait madame Suzanne Furimond qui a pu lui ouvrir sa porte. Tout ce beau monde se retrouvait chez un certain Pisto.
Il semble que les enquêteurs n'aient pas accordé grand crédit aux aveux, pourtant très circonstanciés, de Sabloye. Il est connu pour être un menteur. Et ces aveux contredisent beaucoup trop les horaires donnés par le camionneur Carto qui, bien que soupçonné, est considéré comme une source fiable de renseignements. Tout est dit. Que pouvait faire de plus la police en l'absence définitive de l'assassin désigné ? Les suspects semblent ne pas avoir été autrement inquiétés. Ce n'étaient que des exécutants et des comparses, les comparses actifs d'un commanditaire qui a su rester dans l'ombre. Le juge d'instruction ne les inculpera pas fautes de preuves suffisantes. L'affaire cette fois est bien enterrée.
Ainsi, entrés de plain-pied dans l'épaisseur de cette énigme, c'est de la même épaisseur presque intacte qu'il nous faut ressortir, avec un grand désir d'air pur et de lumière. Il y avait beaucoup de monde, de nombreux requins affamés qui tournaient avec rapacité autour de la non moins rapace Suzanne Furimond, en cette soirée du 11 mars 1948. Toute une meute avide d'or était prête à l'assaillir, à la voler, à la tuer au besoin, ce soir-là, l'appétit sans doute aiguisé par l'acharnement de la malheureuse à vouloir rassembler, en le montrant dangereusement, le plus d'argent possible avant son départ pour Nice. Etonnant un tel manque de prudence de la part de cette dame habituellement précautionneuse et méfiante à l'excès. C'est du reste à cause du secret absolu dont elle entourait ses affaires que l'enquête n'a pas pu aboutir.
Il est possible que Suzanne Furimond se soit départie de sa prudence et de sa méfiance coutumières parce qu'elle-même se sentait traquée et pressée par des prédateurs autrement plus dangereux que les petits malfrats qui, peut-être arrivés les premiers, l'auraient, dans leur hâte à la dépouiller, assassinée "par maladresse". Mais cela est peu probable. Car si l' intérêt est le mobile du crime, les assassins ont curieusement délaissé beaucoup d'argent et les bijoux de la victime. Une victime qui, de toute façon, connaissant ses agresseurs, devait être réduite à jamais au silence.
Devenue mère sur le tard, Suzanne Furimond donna la vie peu avant de perdre la sienne. Et elle la perdit peu de temps avant le décès précoce de sa petite fille adorée, Marie-Martine, qui mourut à l'âge de deux ans. Au moins, la douleur cruelle de cette mort lui aura été épargnée.

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